« WILDLIFE », l’éloge de la routine

          C’est une émotion froide et brute qui – au terme de ces cent-cinq minutes – se manifeste dans un premier temps. Vient ensuite la confusion, fougueuse et disparate, propice à l’effervescence d’un milliard de questionnements. Puis au final,  on ressort simplement de cette saison ardente avec la réaliste impression d’avoir vu un bon film. 

          Car s’il y a bien une chose d’incontestable,  dans un cinéma contemporain qui vacille entre l’effusion du spectaculaire chargée de complaisance et le nombrilisme lassant d’une production indépendante élitiste, c’est l’aspect hybride d’une oeuvre dont l’intime flirte aisément avec le grandiose, comme la symbiose d’un jouvenceau et des vastes étendues incertaines qui l’entourent.

Une écriture concise laissant place au vide existentiel des personnages

           Paul Dano, brillant acteur renommé qui offrit ses talents au génie baroque Paul Thomas Anderson pour le chef d’oeuvresque « There Will Be Blood » (2007), avec la précieuse aide de sa femme Zoe Kazan et à partir du roman éponyme de Richard Ford, développent une écriture scénaristique minimaliste dont l’objectif premier est de cristalliser des instants d’entre deux, de doutes, en donnant notamment une importance capitale aux silencieuses vociférations qu’on croirait sorties d’un autre temps. Il y a une véritable volonté chez ces auteurs d’envoûter le spectateur mais aussi de lui laisser suffisamment de place pour une réflexion des plus intéressantes sur les différents personnages du récit. « Wildlife » est transcendé par un chaos sourd et incandescent, assurément à l’image de ses protagonistes, complexes et simples, emprisonnés dans cette bulle de banalité, cette routine désabusée qui transforment l’être doté de conscience en carcasse aseptisée.

           Immergé dans le regard nourrit par la candeur de Joe, quatorze ans, le spectateur assiste avec le protagoniste, impuissants, à l’effondrement de son berceau, de son cocon, de son espace chaleureux qui fut orchestré jadis par Jerry et Jeanette, deux âmes cabossées mais entières, déjà tendrement servis par les désillusions du commun des mortels. Et ce, grâce à des acteurs remarquables de justesse, à commencer par le duo orageux Carey Mulligan et Jake Gyllenhaal, survoltés, silencieux, stratosphériques, mais aussi Bill Camp, personnage nuancé et ambigu, magistralement interprété dont la subtilité s’impose comme le mot d’ordre, et puis surtout, Ed Oxenbould, qui incarne ce jouvenceau taciturne, attentif et perpétuellement en phase d’interrogations, par rapport à tout, à rien, ou même des deux.

Une réalisation précise, minimaliste qui n’échappe pas à certaines limites

           Paul Dano, pour son premier long métrage, opte davantage pour une réalisation sobre et efficace. En effet, point de fioritures ni de niaiseries, point d’idéalisme ni de complaisance, car Dano veut suggérer pour s’écarter des clichés métonymiques de ces thèmes abordés maintes fois dans le Septième Art. L’image, claire obscure, crépusculaire, traduit à merveille le déclin de cette famille qui valse à vingt temps, mille temps, dans cette cacophonie sourde et assoudissante. Il s’agit d’un véritable pugilat, entre un homme et une femme, une mère et un père, un fils et ses dissertations internes : dialogues de sourds et folies passagères sont donc au rendez vous dans cette oeuvre qui vise un certain réalisme.

           Cependant, c’est en partie la réalisation, les choix de mise en scène qui pèchent, car à force d’idolâtrer la simplicité et la sobriété, le film en devient presque lisse, sans reliefs, le comble tout de même pour une œuvre portée par des acteurs aux palettes de jeu diverses et variées, et contraste par conséquent avec la brillante écriture et caractérisation complexe des protagonistes. Qui plus est, un drastique dosage du rythme manque cruellement , et contribue à affirmer certaines longueurs, justifiées, mais qui laisseront une partie du public sur le bord de la route. Parfois confus, ou bien même incomplet, mais aussi légèrement entravé par certaines longueurs, le premier long métrage de Paul Dano résonne plus comme une œuvre solennelle, honnête et humble.

            En somme, pari réussi pour Paul Dano avec « Wildlife » qui s’impose comme un film d’écriture, très littéraire mais dont l’importance de l’image n’est à aucun moment négligée. J’imagine aussi que l’acteur aime les grands espaces, les paysages vides et hors du temps : on retrouve une petite touche d’onirisme ma foi bienvenue dans une œuvre qui dispose d’un travail rigoureux sur le son, l’image et l’écriture.

C’est un film simple, lisse, inégal et beau sur une famille simple, lisse, inégale et belle.

François Thieulen

 

 

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