Nabilah de Paul Meschùh

Hassan, frère de Nabilah, au moment du suicide de cette dernière.
Hassan, frère de Nabilah.

 

Nord de l’Afghanistan, 2004. Nabilah, petite fille afghane de sortie avec son jeune frère, est gravement blessée après un éboulement de rochers. Entièrement désorienté, ce dernier prend l’initiative de la laisser sur place et de courir jusqu’à son village pour trouver de l’aide auprès de son père. Entre temps, un régiment d’infanterie allemand découvre la jeune fille étendue dans la neige. Un soldat zélé se sent investi d’une mission : sauver Nabilah. Il la ramènera au camp afin de la faire soigner. Le point de départ d’une lente descente aux enfers -d’après des faits réels-, et scellée par une chute catastrophe, mais tristement attendue.

Premiers dialogues, et déjà, première surprise. Pas de sous-titres, les dialogues sont doublés oralement et en simultané par une voix féminine. Un choix audacieux, qui, s’il se trouve parfaitement déroutant les premiers instants, se révèle être l’une des grandes forces du moyen-métrage de Paul Meschùh. Ne pas s’égarer dans les bras chatoyants de l’émotion, et nécessairement de la subjectivité. Objectif atteint. Le public est invité à rester en retrait, pour conserver un œil neutre sur les événements, afin de saisir l’immense variété des enjeux qui ont cours.

Ces afghans d’un petit village ne portent pas l’occidental dans leur cœur, le répugnant -légitimement ou non, à chacun le loisir de s’en faire une opinion- comme envahisseur, sans pour autant se présenter profondément hostiles à son encontre. Or, comme les deux camps ne peuvent s’entendre dans un même langage, les présomptions deviennent vérités. Et cette méconnaissance de l’autre conduit cet allemand à fonctionner à rebours de la culture afghane.

Et l’Humanité disparaît petit à petit

Le spectateur le comprend rapidement, il n’y aura pas de happy ending.

Presque fatalement dans une succession d’événements contraires, où l’innocence du jeune frère de Nabilah se trouve sacrifiée à jamais. Candide et pétri de bonnes intentions les premières minutes, il devient malgré lui un fin manipulateur, afin de sauver son honneur. Oui, son père lui dira « on n’abandonne jamais sa sœur« . Une hérésie, conduisant à la sentence capitale : la lapidation. Ce sera elle ou lui, si rien ne va. Et rien n’ira.

Alors elle préférera s’ôter la vie devant tout un peuple prêt à la punir pour ses supposés pêchés. Plutôt qu’être l’opprobre de toute une société, suggérant qu’elle s’était donnée en son âme et conscience à un soldat allemand. Une hérésie, ça aussi.

Le soldat allemand tenant Nabilah dans ses bras. Venant de voler son arme de poing pour se suicider.
Le soldat allemand tenant Nabilah dans ses bras, venant de saisir son arme de poing pour se suicider.

Un film d’une précision déconcertante

Nabilah, qui ne prononcera pas un seul mot du film, laissant au spectateur un goût plus amer encore. Et cette clameur finale du jeune frère, qui dans un dernier élan d’amour pour sa sœur, espérera tant bien que mal sauver son honneur. Installant un peu plus encore, l’hostilité entre les forces armées occidentales, et la société afghane.

Au final, une brillante démonstration de tout ce qui crée les drames d’aujourd’hui. La méconnaissance de l’autre, malgré les bonnes volontés. Sous couvert d’un ultra interventionnisme occidental, et des préjugés qui grouillent dans la société afghane.

Et pareil à Nabilah, le spectateur reste muet, décontenancé, devant une telle injustice. Un film d’une précision déconcertante, presque horriblement cynique, mais criante de vérité.
Et mon coup de cœur.

Paul Le Du

Le film est en compétition à l’occasion du FFE2015.

A propos de webjournaliste